[LES ENFANTS DE GORRES] Partie 4

Le soir était tombé sur l’Aquitaine. Les invités de marque avaient été installés dans les chambres de l’aile Ouest par une cohorte de servants. D’autres s’affairaient à nettoyer le grand hall qui avait accueilli la fête. Le château était redevenu silencieux ce qui avait permis à Uriel et Mordred de sortir de leur cachette comme des renards de leur terrier. Des restants de volailles sur le buffet avaient survécu à la tempête qui semblait avoir frappé la pièce. De la nourriture avait été piétinée, de l’alcool entachait les dalles et les tentures avaient probablement servi à s’essuyer. Mordred avait fait remarquer le manque de savoir vivre des hôtes à leur nourrice, Agathe, qui avait maintenant décidé de les coucher dans leur chambre.

Agathe était la personne la plus bienveillante qu’ils avaient rencontrés. Cette jeune femme d’à peine trente ans était rentrée au service du duc à l’adolescence après la mort de son dernier parent. Elle avait un teint éclatant, de longs cheveux roux, noués sous un foulard de bonne qu’elle conservait en permanence trahissait ses origines irlandaises. Cette femme de dix-huit ans leur aînée était comme une mère pour eux. En effet son extraction modeste l’avait contrainte au célibat en échange d’un hébergement à vie dans la cour la plus riche du continent ; ces deux enfants étaient ceux qu’elle n’aurait jamais.

Mordred et Uriel ne lui avaient jamais désobéi. Ils la croyaient incapable de s’énerver et pour cause, elle n’avait jamais eu l’occasion de lever la voix.

Les deux adolescents suivaient calmement leur nourrice dans les escaliers du château, une bougie dans une main et un épais livre dans l’autre. En passant dans le couloir qui allait jusqu’à leur chambre, la jeune femme avait appercu la lueur des bougies sous une porte ainsi que les rires et les tintements de coupes dans une chambre d’ami, la fête se poursuivait dans les quartiers des hôtes. Elle avait décidé de lire un conte à ses protégés afin qu'ils puissent dormir sereinement.

Pendant qu'elle posait la bougie sur une table, les garçons s’étaient instinctivement installés dans leurs lits respectifs. Elle ouvrit le livre et commença la lecture d’un chapitre au hasard. L’histoire du jour portait sur un chevalier de Provence explorant un village désert. Les enfants avaient été bercés dès le début au son des légendes bretonnes au sujet d'anciens dieux et d’une troupe de chevaliers héroïques. Désormais le monde était chrétien et ces dieux n'existaient plus. Uriel était fasciné par ces histoires de personnages légendaires, Mordred lui y était tout à fait indifférent. Pire, la jeune irlandaise pensait lui faire plaisir en lui rappelant sa filiation entre les héros et lui.

Pour elle, la tradition familiale était une composante essentielle d’une éducation saine. Un enfant -à plus forte raison lorsqu’il est noble- se devait de savoir d’où il venait. Mordred, lui, ne le savait que trop bien ; ce sujet l’horripilait. Comme à son habitude, il feignait de dormir pour que l’histoire cesse. Elle n’avait jamais manqué de les embrasser avant de sortir de la pièce, laissant la bougie allumée pour les rassurer.

La bougie chaleureuse et rassurante à la flamme rouge avait fini par se consumer et mourir ; elle qui avait accompagné tant de fois les enfants dans leur sommeil, nuits après nuits.