[LES ENFANTS DE GORRES] Partie 3

Les jeunes garçons avaient été habillés de vêtements légers, les étés étant étonnamment chauds en Aquitaine. Une visite protocolaire d'un exarque byzantin était prévue pour l'après-midi ; c'est pendant qu'ils étaient revêtus de leurs tuniques précieuses que leur étaient répétés les comportements à avoir devant de tels invités de marque. Ils ne devaient parler qu'en cas de grande nécessité, ne pas s'approcher des hôtes ou de leurs hommes et, surtout, ne pas se focaliser sur le buffet.

Agathe, qui les coiffait maintenant, leur demandait de réciter les trois règles énoncées par le duc. Tous deux les avaient comprises ; ils ne tenaient de toutes façons pas à s'éterniser avec une centaine d'inconnus qui avaient plus de quatre fois leur âge.

En début d'après-midi, ils avaient observé l'arrivée de sa primauté Monomaque entouré d'un cortège de lanciers.

Monomaque était un vieil homme à la mine tranquille dont les lourds vêtements de velours tissés d'or contrastaient avec la longue barbe blanche. La profusion de vêtements ne cachait en rien ses articulations courbées qu'il contraignait pour maintenir une posture droite. Ces pliures noueuses trahissaient les activités sédentaires du vieil homme ; il n'avait de toute évidence pas vu la guerre de ses propres yeux depuis fort longtemps.

Néanmoins, sa stature forçait le respect et il se déplaçait entouré de solides soldats ; les descriptions qui étaient faites de lui depuis son plus jeune âge lui rendaient justice.

Les portes du hall du château étaient tenues fermées pour empêcher la chaleur d'entrer et le soleil se faisait absent à l'intérieur. Profitant de la présence de servants qui allumaient les chandeliers, Mordred et Uriel étaient parvenus à se dérober aux présentations formelles.

Pour leur première réception officielle, Agathe les abreuva de conseils jusqu'à la dernière minute : il ne fallait paraître ni intimidé ni trop sûr de soi, les apparences étaient importantes. Les deux enfants acquiesçaient passivement, mais avaient décidé d’en faire à leur guise.

Malgré leur discrétion depuis le début de la réception, les lassantes présentations finirent par les rattraper ; le seigneur byzantin avait mis un point d'honneur à les rencontrer. Forcés de s'approcher du vieil inconnu, les deux enfants le toisèrent discrètement. Tandis qu'Uriel admirait malgré ses réticences son envergure et son aura, Mordred, indifférent, faisait de gros efforts pour ne pas paraître insolent. Le Duc faisait fièrement l'apologie de l'enfant de Galles au teint pâle lorsque le byzantin leva la main pour lui demander de cesser. Le regard brillant, il se tourna vers Mordred et lui demanda d'approcher. Le cortège de lanciers recula de quelques pas derrière Monomaque tandis qu’il se courbait pour poser ses mains ridées sur la tête de l'enfant.

Solennellement, il présenta à Mordred ses hommages et glorifia le nom Pendragon, porté selon lui par les meilleurs hommes de ce monde. Le fils d'Arthur, sourd à ce discours, se contenta de se tenir la tête baissée et les mains dans le dos comme un élève qui attend une correction de son maître. Lorsque Monomaque enleva finalement sa main, il se déroba et s'éloigna avec son frère.

Sans une parole, ils s'assirent ensemble dans les escaliers de la tour la plus éloignée et la plus silencieuse du château. Uriel mangeait goulûment quelques morceaux de poisson glanés sur le buffet pendant que Mordred jouait machinalement avec son médaillon. Râpeux et léger, il ressemblait à un disque grossier de bois brûlé. Les symboles étranges gravés à sa surface n'avaient encore aucune signification pour Mordred. Au verso, son nom était gravé avec une précision qui contrastait avec la grossièreté de l'objet.

Combien de temps n'allait-il exister que comme l'enfant d'un héros ? Qui allait enfin le délester du devoir de ne pas entacher une lignée honorée par les seigneurs et par les dieux ? Ces questions restaient encore sans réponses. Ce qui était sûr, c'est qu'il détestait un homme qu'il n'avait jamais connu, celui qui lui avait pourtant donné la vie.